Données actuelles et questions nouvelles
Michel Feuerbach Avocat au Barreau de Strasbourg
Le Tokay d'Alsace ou plus précisément le Tokay-Pinot Gris vit ses derniers mois au nombre des vins produits en Alsace.
A compter du 1er avril 2007, il ne pourra plus être mis sur le marché de vin d'appellation " Tokay " ou " Tokay -pinot gris " et on ne pourra plus trouver sur nos tables, dans nos caves ou sur les marchés que du Pinot gris d'appellation d'origine contrôlée Alsace sauf en ce qui concerne les vins mis en bouteilles sous le régime précédent.
Désormais, les contrevenants, producteurs, négociants, cavistes mais aussi les distributeurs, restaurateurs sont susceptibles d'encourir les peines pour le délit prévu à l'article L 115-6 Code de la consommation ou, en cas de simple manquement à la conformité de l'étiquetage ou de la présentation, pour la contravention de 3ème classe prévue à l'article R 115-6 du même code
Il n'a pas suffi qu'au terme d'une longue polémique, le vin ainsi produit à partir du cépage unique pinot-gris et commercialisé sous la dénomination Tokay ou Tokay-Pinot Gris, soit promis à une amputation substantielle dans sa présentation par l'effet d'un accord entre l'Union Européenne et la République de Hongrie en date du 23 novembre 1993 et ayant attribué à la Hongrie l'exclusivité des droits à l'appellation (1).
Le 16 octobre 2006 s'est tenue à l'Ambassade de Hongrie à Paris, une cérémonie de " restitution " de l'appellation " TOKAY " de l'Alsace, ou plutôt du Comité Interprofessionnel de la Viticulture Alsacienne, à la Hongrie avec remise d'un présent des cristalleries de Baccarat, largement relayée par la presse locale et nationale.
Dans le même temps, la viticulture du Frioul italien, également productrice de vins distribués sous l'appellation " Tocai friulano " ou " Tocai " s'en tenait à une cérémonie, certes, festive mais qui n'avait aucunement le caractère d'une fête abdicative (2) lors de laquelle on a préféré des applaudissements " à un ami qui s'en va " plutôt qu'une minute de silence ou plutôt qu'une cérémonie comparable, dans son esprit, à la restitution de HONG-KONG par le Royaume-Uni à la Chine Populaire ou, si elles devaient avoir lieu, aux protocoles restitution de l'obélisque de la Place de la Concorde à l'Egypte ou des frises de marbre du Parthénon à la Grèce par le Royaume Uni.
Il faut cependant reconnaître que le litige, car cela en a été un, est ancien et n'a pas été traité de la même façon du côté italien que du côté français.
Le règlement de la question du Tokay peut laisser des regrets mais correspond bien à une équation juridique admissible en présence de pugnacités différentes selon que l'on soit de l'un ou de l'autre côté des Alpes.
En revanche, ce règlement communautaire doit être relativisé à l'échelle mondiale, ce qui a été quelque peu perdu de vue à l'occasion des différents cérémonials européens.
1) UN ANCIEN LITIGE MAL CONNU
En Alsace et indépendamment de ses souverainetés successives, la dénomination TOKAY et l'adjectif substantivé " TOKAJER " désignaient tant le cépage que le vin mis sur le marché et issu du pinot gris.
Il ne fait plus de doute que le vin et le cépage litigieux d'Alsace n'a rien de commun pas plus à l'étude ampélographique qu'à l'examen oenologique avec les vins hongrois de la région de Tokaj.
Le produit alsacien est issu d'un cépage unique, le pinot-gris, tandis que le vin produit dans l'aire d'appellation TOKAJ en Hongrie mais aussi, désormais, en Slovaquie peut être le produit de cépages forts distincts et vinifiés soit à partir d'un cépage unique soit en assemblage.
Les cépages de culture en Hongrie sont le Furmint, le Hàrslevelü et le muskatoly (variété de muscat ottonel)
Pour sa part, le Tocai friulano qui est aussi bien le nom désignant tant le cépage que le vin mis sur le marché, est une variété de sauvignon vert.
Cependant que le Tokaj hongrois est un vin à facettes multiples et à vinifications très variées (vins blancs secs, vins à forte concentration du type vendanges tardives, vins accompagnant des desserts…) même si on y retrouve une typicité commune tenant à la touche aromatique d'oxydation, le Tocai frioulan est un vin essentiellement produit de raisins à maturité et donne lieu à une typicité de vin sec et d'accompagnement de repas.
Feu le Tokay d'Alsace et désormais le pinot gris est plutôt un vin rond et charpenté pouvant varier du type vin sec jusqu'aux complexités particulières au gré de ses modes d'élaboration possibles en Grand Cru d'Alsace, en Vendanges Tardives ou en Sélection de Grains Nobles.
Ces observations incontestables laissent dés lors à penser que l'explication attribuant au Baron Lazare de Schwendi l'importation du cépage " Tokay " depuis les collines magyares vers les rives du Rhin à la fin du 16ème siècle (3) , n'aura pas nécessairement servi la cause de la défense du vin alsacien même si l'on s'accorde à n'en faire qu'une légende à l'examen historique (4).
Pour leur part, les italiens estiment que le Tokaj hongrois aurait suivi une trajectoire inverse et que notamment, le cépage principalement connu en Hongrie, le Furmint, serait une variété italienne (et peut-être française ?) apportée en terre magyare grâce aux relations privilégiées ayant existé entre la Couronne hongroise et Bertoldo di Merania.
Ce dernier était issu de la famille bavaroise d'Andechs.
Il sera notamment nommé patriarche d'Aquilea après avoir été homme d'Eglise et anobli par le Roi de Hongrie, Andrea II, lequel avait épousé la sœur de Bertoldo di Merania, Gertrude, au début du 13ème siècle. (5)
En particulier, le Furmint aurait été apporté sur les terres hongroises grâce à Bertoldo et procèderait d'une dénomination se rapportant à la couleur jaune-froment laquelle serait à l'origine du nom du cépage.
Cela n'est cependant pas très explicatif de l'emprunt manifeste fait par les italiens à la ville ainsi qu'à la région de TOKAY en Hongrie pour la dénomination de leurs vins à partir du 18ème siècle et en partie favorisé par la circonstance que, province acquise de longue date aux Habsbourg, le Frioul aura la même souveraineté autrichienne puis austro-hongroise, à partir de 1867, que la région de Tokay jusqu'à l'issue de la 1ère guerre mondiale..
La dénomination "TOKAY" est attestée en Alsace ou pour des vins de cette région par des écrits datant de 1781 et 1782, ainsi que par des étiquettes de 1852 et 18626 témoignant d'usages locaux, et au moins constants.
La qualité des vins hongrois de Tokay a valu à celui-ci des lettres de noblesse depuis la table du Maréchal de Richelieu ainsi que le rapporte Alexandre DUMAS (7) jusqu'à la fameuse citation de Louis XV à Madame de Pompadour " Voici Madame, le roi des vins et le vin des rois "
La double monarchie austro-hongroise a souhaité protéger son appellation régionale depuis fort longtemps et un accord " interne " de 1907 est venu délimiter les communes hongroises dans lesquelles le Tokaj pouvait être produit.
L'issue du premier conflit mondial n'aura guère favorisé cette prétention à une protection du produit au-delà des nouvelles frontières imposées par les vainqueurs du conflit ce d'autant que la Hongrie s'était également distinguée par la mise sur le marché de nombreux produits usurpant des appellations hautement symboliques pour la France: le Champagne et le Cognac.
Lors de la signature du " Traité de Trianon ", le 4 Juin 1920, portant traité de paix avec la Hongrie, l'article 210 engageait secondairement la France à renoncer à l'utilisation de dénominations déjà protégées par une appellation régionale mais imposait, sous réserve de réciprocité, à la Hongrie de s'abstenir de toute usurpation similaire qui visait notamment le Champagne et le Cognac.
Peu de temps après, un accord commercial conclu entre les Etats Français et Hongrois le 21 Décembre 1926, portait interdiction de l'utilisation de la dénomination"Tokay" dans la distribution des vins d'Alsace connus sous ce nom en même temps que se confirmait l'interdiction de distribution de produits sous les appellations Champagne et Cognac.
Il est admis que cet accord commercial est demeuré lettre morte et que le Tokay s'écoulera encore pour quelques décennies et sans inquiétude sous l'appellation litigieuse en provenance d'Alsace.
En revanche, des jugements du Tribunal de Colmar intervenus en 1932 et 1935 dans les affaires de délimitation judiciaire des aires de production du KAEFFERKOPF et du SONNENGLANZ, ne mentionnaient aucunement le Tokay mais se contentaient d'indiquer le pinot sans aucune indication de couleur du cépage (8).
Il semble cependant qu'il n'en allait que d'un oubli et non pas d'une traduction tendant à donner des effets juridiques à l'accord de 1929.
Cependant, différents textes relatifs au statut de l'appellation d'Origine des vins d'Alsace en feront l'exacte mention :
- l'Ordonnance 45-2675 du 2 Novembre 1945 relative aux Appellations d'Origine des vins d'Alsace. (9)
-
le décret 71-554 du 30 juin 1971 relatif à l'appellation contrôlée "Vin d'Alsace " ou Alsace. (10)
-
les décrets instituant l'appellation Grand Cru d'Alsace en date du 20 novembre 1975. (11)
Depuis lors, tous ces textes compilés ou consolidés ont été adaptés et comprennent tous l'alternative Pinot gris – Tokay dont le sort est scellé.
On sait relativement peu de choses des revendications hongroises en la matière entre la fin du second conflit mondial et la renaissance de l'économie hongroise dans les années ayant suivi les événements de Budapest en 1956.
2) UN RÈGLEMENT DU LITIGE TOURMENTÉ MAIS DÉFINITIF AU SENS DU DROIT COMMUNAUTAIRE
Le lobby hongrois des producteurs de Tokay aura finalement triomphé pour sa persévérance mais aussi pour avoir reçu le soutien de fameuses compagnies d'assurance françaises qui, dés la fin des années 1980 ont acheté des domaines entiers de production du Tokaj hongrois (Hétszölö, Megyer-Pojzos, Disznokö, Hegyalja…)
Au début des années 1990, le langage des responsables de la viticulture alsacienne avait été beaucoup moins mesuré qu'à l'occasion des cérémonies de restitution et on ne craignait pas à l'époque d'évoquer une contre-partie à la fermeture des frontières nationales face à l'invasion des foies-gras hongrois. (12)
Quelques temps auparavant, suivant un règlement CEE R 2164/80 du 8 Août 1980, la Commission de Bruxelles est intervenue dans le dénouement du problème de la dénomination " Tokay " mettant ainsi fin à près de 35 années d'écoulement paisible du produit alsacien.
La dénomination " Tokay d'Alsace " y faisait l'objet d'une suppression pure et simple.
Pour la Commission, il s'agissait de réglementer les synonymes des noms de variétés de vigne " pouvant être utilisés pour désigner les vins commercialisés dans la Communauté Economique Européenne ".
Imposée sans dialogue et donc fustigée par les acteurs de la viticulture alsacienne, cette mesure a réussi à s'attirer un tempérament puisque par un Règlement du 10 Août 1984, la dénomination Tokay Pinot gris" a été admise pour les vins du cépage pinot gris originaires des départements du Haut Rhin et du Bas Rhin. (13)
Il sera renvoyé au 3ème considérant de ce règlement qui témoigne d'un étonnant caractère timoré et malléable de l'art " législatif ", en tout cas réglementaire de la Commission.
Cependant, l'Union Européenne s'engagera dans les termes de l'accord précité de 1993 avec la Hongrie en organisant l'interdiction progressive de l'emploi de toute référence au Tokay s'agissant de vins qui n'en étaient pas originaires.
Dés lors, il sera disposé que l'indication " Tokay " survivrait jusqu'au 31 mars 2007 au plus tard, tant en Italie qu'en France mais, dans le cas du produit alsacien, en association avec le nom du cépage " Pinot Gris " ainsi que l'a confirmé l'annexe X des mesures transitoires relatives au traité d'Adhésion à l'Union Européenne signé par la Hongrie le 16 avril 2003 à Athènes.
Pourtant, la viticulture italienne du Frioul n'avait pas entendu se plier à ces mesures et avait notamment poursuivi l'annulation de la réglementation nationale italienne portant mise en œuvre de l'interdiction prévue par l'accord souscrit en 1993 par l'Union Européenne avec la Hongrie.
La région du Frioul et de Vénétie contestait notamment le caractère d'indication géographique des appellations " Tocai Friulano" et " Tocai Italico " qui n'aurait été que le nom d'une variété de vigne reconnue en Italie.
L'ensemble de l'argumentation Frioulane et Vénitienne sera rejeté suivant une décision de la Cour de Justice des Communautés, saisie sur question préjudicielle par le Tribunal administratif du Latium, en date du 12 mai 2002. (14)
La Cour estimera qu'il n'existe pas de véritable homonymie dés lors que l'on se trouvait en présence d'une dénomination commune à une indication géographique et à un nom de cépage.
Cette solution s'appuyait notamment sur l'accord ADPIC qui n'exigeait pas que le nom d'un cépage déjà utilisé pour la désignation d'un vin communautaire puisse continuer à être utilisé à l'avenir, ce qui signifie qu'il n'existe pas de droit acquis à la dénomination d'un vin par son cépage au cas de conflit avec, par exemple, une indication géographique.
En revanche, ce même accord ADPIC précisait en son article 24 § 6 que les dispositions pertinentes de l'accord ADPIC en ce qu'elles portent sur les indications géographiques n'exigeaient pas " d'un pays membre qu'il applique les dispositions de la présente section en ce qui concerne une indication géographique de tout autre membre pour les produits de la vigne dont l'indication pertinente est identique au nom usuel d'une variété de raisin existant sur le territoire de ce membre à la date d'entrée en vigueur de l'accord sur l'OMC ".
Or, la question a bien été réglée dans les termes de l'accord négocié et ratifié entre l'Union européenne et la Hongrie en 1993, soit avant l'accord ADPIC (15), ce que ce même accord n'interdit ni ne restreint nullement.
La Cour de Justice a également estimé que l'interdiction ne constituait pas une privation définitive de propriété protégée par l'article 1er al. 1 du Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'Homme et qu'elle avait aussi comme fondement d'assurer aux consommateurs une information exacte et précise sur les produits en même temps que de protéger les producteurs sur leur territoire contre des troubles à la concurrence.
Enfin, la Cour a estimé l'interdiction proportionnée au but d'intérêt général en présence d'un régime d'élimination transitoire ayant permis l'emploi des appellations Tokay ou Tocai ainsi qu'à raison de l'existence de mentions alternatives telles que Pinot gris pour l'Alsace et Friulano pour l'Italie une fois passé le 1er avril 2006.
En définitive, la dénomination TOKAY sera partagée entre la Hongrie et la Slovaquie dont certaines régions viticoles font partie de la région TOKAY située au nord-est de Budapest à la frontière des deux pays nouvellement admis dans l'Union Européenne.
Il y a lieu de rappeler que les traités de Paix souscrits à l'issue du premier conflit mondial avaient tracé la frontière entre les deux nouveaux Etats au milieu de la région viticole de Tokay dont le production à concurrence de 20 % provient de la viticulture slovaque.
Suivant un accord du 15 juin 2004, la Hongrie et la Slovaquie se sont entendus sur une reconnaissance mutuelle des aires d'appellation du Tokay de sorte que la Hongrie aura cédé sur le point de l'exclusivité de ses droits sur l'appellation d'origine TOKAY mais pour des raisons au moins juridiquement acceptables.
Cet accord a été adressé pour approbation à la Commission et la France avait rapidement fait connaître son agrément alors que l'Italie mais aussi la Slovénie, également productrice de quelques vins distribués sous l'appellation " Tocai " ont fait valoir leurs protestations lesquelles ne seront pas retenues.
C'est aussi la première définition d'une région d'appellation d'origine partagée entre deux Etats.
L'accord entre la Hongrie et la Slovaquie a été également fortement appuyé par l'Union Européenne qui ne pouvait méconnaître une situation gênante dans la perspective de la prochaine adhésion slovaque au Traité d'Athènes dés lors que par une lecture stricte de l'accord bilatéral de 1993, elle interdisait toute exportation de vins de Tokay d'origine slovaque pour en avoir attribué les droits exclusifs à la Hongrie.
L'accord n'a d'ailleurs pas été simple dés lors qu'au mépris de la souveraineté slovaque , la Hongrie avait exigé un temps de pratiquer les contrôles de qualité pour garantir des standards uniformes s'agissant des vins de la partie slovaque de la région de Tokay.
La solution donnée au contentieux avec l'Alsace et le Frioul peut laisser quelque peu perplexe dés lors que beaucoup de consommateurs de pinot gris alsacien qui, naturellement, ne connaissent pas ces subtilités historiques et juridiques, continueront à désigner le vin par l'ancienne et traditionnelle dénomination d'usage et parfois sans même songer à l'homonymie avec la région viticole hongroise et aujourd'hui slovaque.
En particulier, les consommateurs dialectophones et germanophones désignent souvent le produit par l'adjectif substantivé " Tokajer " qui emprunte bel et bien l'indication d'origine sans nécessairement en situer exactement l'origine.
On peut admettre que l'emploi de la désignation du vin par son seul nom de cépage " pinot gris " gagne du terrain mais la perte de prestige ne se discute pas tout en étant soigneusement tue.
Aussi, ce n'est pas en vain et peut-être pour renouer avec cette part de prestige ou d'exotisme perdu qu'une cave alsacienne, pressentant les effets de la perte du droit à l'appellation Tokay, distribue à présent l'ancien Tokay d'Alsace sous l'appellation en langue italienne " Pinot grigio " ce que les viticulteurs frioulans apprécieront même si le Tocai italien n'était pas produit à partir du pinot gris.
En second lieu, on peut se poser la question de ce qui pourrait advenir aux vins désignés sous le nom de " traminer " d'à travers le monde mais aussi au Gewurztraminer, si la région viticole de Tramin dans le Tyrol italien venait à revendiquer l'usage exclusif de l'indication d'origine même en langue allemande.
Il est vrai cependant que la protection des appellations d'origine revêt également un caractère facultatif politiquement douteux en terme d'ordre public et de protection des consommateurs dont le meilleur exemple est à présent fromager.
L'Emmental est à l'origine un fromage de la vallée bernoise de l'Emme mais il est produit à l'envi depuis l'Autriche jusqu'en Irlande et la France en est son principal producteur.
A l'opposé, on se souvient de la querelle aux relents de nationalisme hellénique à l'occasion de la demande par l'Etat Grec de la reconnaissance de sa " Feta " au titre d'appellation d'origine protégée (AOP) et qui a abouti à une admission tumultueuse en dépit de l'opposition du Danemark, de l'Allemagne et de la France forts de leur importante industrie laitière et fromagère alors que le terme " feta " n'était aucunement une indication géographique de provenance.
Par un arrêt du 25 octobre 2005, la Cour de Justice des Communautés a cependant estimé que la dénomination Feta n'était pas devenu générique et qu'elle correspondait à une aire géographique délimitée ainsi qu'à des conditions de production naturelles spécifiques. (16)
Pour en revenir au vin, on ne saurait méconnaître les systématiques campagnes et actions du Comité Interprofessionnel des vins de Champagne sur tous les fronts planétaires en vue d'éliminer toutes les usurpations possibles de l'indication d'origine si prestigieuse depuis l'eau minérale jusqu'au parfum en passant par la bière depuis plus d'un siècle et demi. (17)
C'est d'ailleurs en raison de cette intransigeante ténacité que les vins mousseux comme le Crémant d'Alsace ont été privés du droit à la mention " Méthode Champenoise " depuis un Règlement du Conseil 2333/92 du 13 juillet 1992. (18)
Enfin, le règlement de la question de l'appellation TOKAY doit aussi s'apprécier sur un autre plan qui témoigne d'une étape supplémentaire de la globalisation.
En matière de produits de l'industrie incluant l'agro- alimentaire, certains termes géographiques servant à leur désignation ont parfois perdu de leur substance en ce qu'ils désignent une origine géographique. (19)
Face à de véritables et incontestables indications d'origine, il a été mis en relief la catégorie des semis-génériques qui est plutôt une particularité américaine instituée par l'ancien Bureau fédéral des alcools, du tabac et des Armes à feu (BATF) devenu le " Alcohol, and Tobacco Tax and Trade Bureau " qui dépend du Trésor américain et qui a en charge le contrôle des étiquettes et des publicités commerciales pour les vins.
Il est admis que ces semi-génériques correspondent bien à des indications d'origine concernant des vins parfois de grande renommée mais qu'ils peuvent également servir à la désignation d'un type de vin d'une origine autre que celle à laquelle se réfère le terme semi- générique.
La liste ainsi constituée mentionne des indications géographiques qui ne sont pas neutres même sous leur présentation parfois anglo- saxonne : burgundy, chablis, champagne, malaga, chianti, madeira, moselle, port, rhine wine, sauterne et tokay.
Des typicités particulières sont associées pour chaque dénomination et soumises à contrôle du bureau fédéral.
S'agissant de la désignation tokay, il est fait référence à un vin californien " flame tokay " pratiquement liquoreux d'une teneur en alcool se situant entre 16 et 22 % d'alcool volumique ce que ni les vins de Hongrie ni ceux d'Alsace ne sauraient raisonnablement ni légalement atteindre.
Suivant un accord signé à Londres entre l'Union européenne et les Etats-Unis du 10 mars 2006 relatif au Commerce du vin, le gouvernement américain s'engageait à proposer au Congrès dans les trois années à venir une transformation du statut de dix-sept dénominations dont celles évoquées plus haut et qui désignent des appellations européennes mais actuellement considérées comme semi- génériques aux Etats-Unis.
Tout en reconnaissant des pratiques viti-vinicoles américaines radicalement illégales en Europe, l'Union Européenne a cru voir dans cet accord une victoire négociée de la viticulture du Vieux-continent s'agissant du Tokay ou de n'importe laquelle des origines concernées.
Pourtant, la discussion et la réflexion s'imposent sur le plan juridique car l'accord paraît très flou et dépourvu d'articulation des engagements pris par les Etats-Unis. En revanche, il constitue une tangible reconnaissance des usurpations que l'accord se proposait de combattre même si d'autres négociations de contrôle forment aussi partie des obligations de ce même acte entre l'Union européenne et les Etats Unis.
Une analyse du péril lié à cet accord déjà paraphé entre les parties le 15 septembre 2005 a été faite dans un rapport parlementaire français du 22 novembre 2005. (20)
Cette survivance de la dénomination Tokay pour des vins produits aux Etats Unis est sans incidence sur la perte définitive du droit à l'appellation par les viticulteurs frioulans et alsaciens.
Le Tokay Hongrois a donc bien gagné la partie européenne de son combat mais le Nouveau monde l'attend au tournant de sa seule bonne volonté vis-à-vis des engagements pris avec l'Union européenne.
Notes
- J.O CEE 31/12/1993
- "Il Velino" Tocai friulano: " E se invece di un Requiem fosse un Ouverture " 13/10/2006 & G. Dotto "Da oggi Tocai è un passato remoto " www.panorama.it
- Ch. Gérard : " L'Ancienne Alsace à Table " Alsatia 1971, p. 272.
- Collectif : " Histoire de l'Alsace " sous la dir. de Philippe Dollinger , Privat Editeur 1970.
- G.F. Cromaz : "Il Tocai: Note storiche sul contenzioso con l'Ungheria" Notiziario ERSA 1/2001 Udine.
- Médard BARTH in " Der Rebbau des Elsa?es und die Abasatzgebiete seiner Weine" Ed. LE ROUX Strasbourg 1958
- Alexandre DUMAS " La Pérouse " Prologue Chapitre II (où il est question d'un Tokay de 1714).
- Tribunal de 1ère Instance COLMAR 24 février 1932 (Kaefferkopf) et Tribunal de 1ère Instance COLMAR 11 décembre 1935 (Sonnenglanz)
- Journal officiel "Lois et Décrets" du 04/11/1945 page 7238
- Journal officiel "Lois et Décrets" du 11/07/1971page 6871
- J.O 24/11/1975
- DNA 29 novembre 1990.
- J.O CEE 13 août 1984
- CJCE 12 mai 2002 Regione Autonoma Friuli-Venezia ..c/ Ministero delle Politiche Agricole e Foerstali (C-347/03)
- Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce souscrit par l'Union dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce signé le 15 avril 1994 à Marrakech.
- Communiqué de Presse CJCE n° 92/05
- C.A Paris 15 décembre 1993 Gaz. Pal. 23-24 janvier 1994 p. 10
- (JO CEE L 231, p. 9),
- Cf : Norbert OLZSAK " Droit des Appellations d'origine et indications de provenance " Tec & Doc 2001 Rapport d'information A.N n° 2685 22/11/2005
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